Architecture africaine : une histoire d’identités, dʼespaces et de relations
Date
Le mardi 9 février 2021
Emplacement
Montréal, Canada
Auteure
Tania Doumbe Fines
Éditrice
Fatou Alhya Diagne (Invitée)
Éditrice en chef
Tamy Emma Pepin
L’architecture est définie comme l’art de concevoir et de construire un bâtiment dans le respect des contraintes fonctionnelles, esthétiques, techniques et réglementaires déterminées, incluant les aspects sociaux et environnementaux liés à son intégration dans un environnement.
Lorsque nous parlons d’architecture africaine, une attention particulière doit être portée au mythe de l'uniformité de la culture africaine. Une tendance à considérer le continent comme un territoire culturel unique est un échec face à l’observation de la riche diversité de ses cultures. L’Afrique est un continent regroupant 54 nations, des milliers de groupes ethniques, près de 1,4 milliards d’habitants. Ses plus de 2000 langues ne sont qu’un aspect exposant sa multiformité. Le continent a été témoin de la montée et de la chute d’empires, de guerres politiques et des conflits religieux, de colonisations et réclamations identitaires.
Dans un contexte architectural, comment définir son patrimoine?
Intrinsèquement, les méthodes de construction entre les nomades, les chasseurs-cueilleurs, les éleveurs, ou encore les peuples bédouins et touareg, en savane et demi désert, populations de la corne du continent à lʼAfrique australe varient grandement. Les constructions sʼérigeaient majoritairement en dômes, tentes et autres cabanes conçues par ossatures durables et aérodynamiques1.
Les matériaux principaux utilisés pour les structures vernaculaires sont la boue, le bambou, le raphia, le chaume, le bois, la brique de terre cuite ou de pierre, le pisé, les pierres sèches, le mortier, lʼadobe, feuilles de mongongo, herbes, graminées, poil de chameau, peaux de chèvre ; tous composés et assemblés collectivement1.
La diversité de ces modes équivaut à la diversité des conditions environnantes imposées. Elles relèvent même de la croyance, au rapport au divin, à la hiérarchie sociale, à lʼutilité locale. Chaque culture a son (ses) Dieu(x), ses valeurs, ses symboliques. Elles se retranscrivent dans leurs façons dʼhabiter le monde, de vivre ensemble, pour faire face à la nature, à la vie, jusquʼà ce que lʼarchitecture locale rencontrent des influences et pressions extérieures considérables.
Le partage de l’Afrique entre les puissances impérialistes européennes (Royaume-Uni, France, Portugal, Belgique, Allemagne, Italie, Pays-Bas) lors des invasions coloniales (principalement entre 1880 et la Première Guerre mondiale) donne un nouveau visage à lʼarchitecture du continent. Les Portugais ont introduit pour leur part une architecture de forteresse médiévale européenne, tandis que lʼinfluence française, motivée par leurs ambitions commerciales, est marquée par lʼenvironnement domestique quʼils recréèrent dans lʼarchitecture urbaine locale. Lʼimposition des boulevards à la parisienne et intersections diagonales sont perçues dans plusieurs centres urbains africains tels que Fès, Casablanca, Dakar ou Abidjan. Les structures de style victorien et les pans architecturaux ségrégationnistes témoignent également de lʼinfluence néerlandaise et britannique3,5.
Est alors née une période de structures audacieuses et de formes stridentes qui sont étrangement absentes de l’histoire enregistrée de l’architecture moderne6. Une période d’architecture expérimentale et futuriste florissante que de jeunes pays africains ont utilisé pour exprimer leurs identités nationales. Une propagande soutenue par ces États, en collaboration avec des architectes, planificateurs et entreprises de construction étrangers.
Matérialisés par des géométries complexes et paysages de béton vertigineux, des bâtiments civiques et éducatifs ainsi que des espaces cérémoniels riches en symbolisme ont commencé à se développer dans et autour des villes : vastes stades, édifices du parlement, banques centrales, campus universitaires, sites de foires commerciales, centres de villégiature urbains ; de véritables miracles économiques.
L’architecture moderne et futuriste reflétait les aspirations dʼun esprit tourné vers l’avenir. Elle sʼexpose néanmoins à des difficultés, contradictions et dilemmes.
L’utilisation de conceptions et de matériaux occidentaux s’est avérée inappropriée pour les environnements urbains africains. Le modernisme européen est en soi antilocal. Il est assez contradictoire de sʼen inspirer lorsquʼil a été utilisé pour coloniser l’Afrique en premier lieu. Un exemple de cette dichotomie est le Centre International de conférence Kenyatta (Nairobi, Kenya). Conçu par l’architecte norvégien Karl Henrik Nøstvik, ce gratte-ciel vitré de 32 étages, structure la plus haute d’Afrique de l’Est jusqu’aux années 90, est mal équipé pour supporter le soleil équatorial6. Des îlots de chaleur sont créés et occasionnent des espaces tributaires de lʼair conditionné.
Figure 6 – Centre International de conférence Kenyatta (KICC) (Nairobi, Kenya), photographe inconnu
Le béton a fait mieux pour l’ombre et la ventilation, associé à des panneaux de persiennes, mais les ornements phares occidentaux ne sont jamais trop loin. Nous observons aujourdʼhui les ruines de lʼaudacieuse Pyramide (1973) dʼAbidjan (Côte dʼIvoire) conçue par l’architecte italien Rinaldo Oliveri. Un bâtiment à usage mixte de 12 étages en béton et acier. La forme a été inspirée des abris de marché traditionnels. Il souhaitait recréer la vivacité de la place du marché africaine avec des sols effilés ombragés par de larges auvents. Entreprenant, le projet sʼest avéré être douteux : le bâtiment reste aujourdʼhui vide, inutilisé depuis les années ʼ806. La construction a entraîné des coûts d’entretien beaucoup trop élevés et un rapport complètement inefficace entre lʼespace louable et lʼespace de circulation6.
Le campus de l’Université de Zambie à Lukasa (1965) de Julian Arnold Elliott quant à lui a été nommé révolutionnaire avec ses terrasses de béton en cascade et ses allées extérieures qui se croisent. Il a comme de nombreux projets majeurs de cette époque été laissé inachevé par les entrepreneurs israéliens, suite à lʼéclatement de la Guerre du Kippour et la crise pétrolière qui ont poussé à lʼexpulsion de leurs entreprises7.
Nous pourrions envisager une grille dʼanalyse du mouvement moderne et la compréhension de sa signification culturelle en tant que fruit dʼune union culturelle et non lʼempreinte dʼune tradition architecturale européenne en territoire africain ; en un sens, une richesse culturelle.
Il ne faudrait pas nier la symbolique de ces monuments pour les nations et leurs populations.
La Place de lʼindépendance du Ghana par exemple, « Black Star Square », commissionnée par Nkrumah est le site pour le défilé de la fête de l’indépendance du Ghana, célébrée le 6 mars de chaque année.
Il faut aussi saluer les mouvements de « lʼarchitecture dʼauthenticité »10 qui s’inspirent des traditions picturales ou/et sculpturales locales pour répondre aux exigences idéologiques de l’époque. Dʼautres formes dʼexpression en dehors de lʼarchitecture ont également participé au rayonnement et à l’établissement des identités locales.
Dans une société ayant perdu ses fondations, quelle est la place de son architecture? Les bâtiments construits à lʼheure actuelle servent ou détruisent-ils cette culture?
Comme prévu initialement à l’époque de l’indépendance, il sʼagit de façonner le discours des nations, lʼimage renvoyée au monde. Il faut donner au peuple un sentiment de fierté et d’identité. C’est une responsabilité de fournir une architecture basée sur le contexte. Pas forcément nouvelle, mais dʼune pensée progressiste qui rencontre les intérêts de la société.
Les architectes africains doivent arrêter d’essayer de copier ce qui existe déjà en pays dits développés. Il est de leur responsabilité de se pencher sur leur propre histoire et patrimoine pour produire une architecture qui reflète la région dans laquelle les bâtiments existent.
Une architecture traditionnelle bioclimatique4 doit servir lʼimportance des relations que nous avons les uns avec les autres. Façonner des vies harmonieuses avec lʼenvironnement qui les entoure.
Les villes africaines se développent rapidement. On note néanmoins des techniques de main dʼœuvre qui ne développent pas tout aussi rapidement8. Le savoir-faire traditionnel, les techniques ancestrales sont maintenant oubliées, cause dʼun apprentissage focalisé sur les techniques occidentales et ses matériaux (ciment, béton). Le défi est de former la main dʼœuvre aux nouvelles techniques liées à lʼarchitecture en terre.
Un vocabulaire du logement doit également être développé, la langue étant liée à la culture. Le développement d’un vocabulaire d’architecture africaine8 (en wolof, swahili, etc.), un vocabulaire de construction contemporain, pourrait servir à l’analyse et à la description de fonctions traditionnelles dans un contexte moderne qui se traduisent par des mots universels.
Dans des pays en développement avec des difficultés économiques, une architecture responsable est requise : abordable (matériaux locaux), efficace (exécutée plus rapidement), juste (adaptée au climat), requérant peu de travail de maintenance et entretien11. Le continent mérite des espaces réfléchis et durables, économiquement et culturellement.
Des architectes tels que Mariam Camara, Diébédo Francis Kéré ou Kunlé Adeyemi nourrissent cette architecture africaine contemporaine qui honore ses traditions.
Leurs bâtiments sont construits avec des matériaux locaux, connectés à la réalité quotidienne des habitants8, 10. Des matériaux qui retiennent la fraîcheur, repoussent la chaleur et sont achetés à un coût très bas, en plus d’être capables de porter des conceptions qui servent la lumière naturelle et la ventilation4,12.
Des constructions sensibles, hybrides, entre conservation, création et développement urbain sont une réponse aux cultures constructives locales ancestrales8. Elles détiennent depuis toujours les notions de modularité, durabilité, viabilité et confort que cantonnent les sociétés occidentales12.
Figure 19 : Marché régional (Dandaji, Niger), Atelier Masomi ©
À quoi ressemblerait l’architecture africaine de demain si elle était à notre image?
Il n’y aura pas de développement sans un processus de transformation et de changement, inscrit dans une perpétuité : nous devons nous rappeler que nous existons dans le mariage dʼune lignée physique et spirituelle.
Il ne suffirait pas néanmoins dʼenfermer lʼAfrique dans ses traditions mais plutôt dʼy chercher des pistes afin de laisser sʼémerger de meilleures sociétés. Cʼest un devoir éthique pour nourrir le collectif.
Nous avons tous le pouvoir dʼimaginer des futurs possibles et de nous engager dans un travail actif pour concrétiser lʼavenir souhaité. Nous devons saisir ces visions et vivre pour cet avenir.
Certes, en tant quʼarchitecte dʼintérieur camerounaise ses questionnements me touchent particulièrement, mais je considère que nous sommes tous créateurs de nos mondes, convoyeurs dʼidéaux et dʼalternatives efficaces, capables de rendre meilleur le quotidien de tous.
Tania Doumbe Fines
@soldatsansfrontieres
À travers ses œuvres, la camerounaise vise une symbiose sensible entre l’expression traditionnelle bantoue et les rapports modernes au corps, à l’image, au son et à l’espace.
Bibliographie
1. Alabi Fassassi M. (2000) L’architecture en Afrique noire. LʼHarmattan
2. “Ron Eglash et les fractales africaines.” YouTube, uploaded by TED, 7 Décembre 2007,
3. Elleh, N. (2002) Architecture and Power in Africa. Praeger Publishers Inc
5. Demissie F. (2012) Colonial Architecture and Urbanism in Africa. Routledge
6. Herz, M. (2015). African Modernism: The Architecture of Independence. Ghana, Senegal, Côte d’Ivoire, Kenya, Zambia. Park Books.
7. Stanek, L. (2020) Architecture in Global Socialism: Eastern Europe, West Africa, and the Middle East in the Cold War. Princeton University Press
8. FOLIO: Journal of Contemporary African Architecture. Volume Two : Noir Radical. 14 Aout, 2020
9. The Guardian: Guardian Arts. Nwoko: Progress is not in copying other cultures, be it technology, 01 Mai 2016
10. FOLIO: Journal of Contemporary African Architecture. Volume One: Pupae. 24 Mai 24, 2017
11. UNESCO- WHC-CRAterre. Lʼarchitecture de terre dans le monde dʼaujourdʼhui. Décembre, 2012
12. Folkers A., van Buiten B. (2019) Modern Architecture in Africa: Practical Encounters With Intricate African Modernity. Springer Nature Switzerland AG