Date
Le lundi 5 octobre 2020
Emplacement
Marrakech, Maroc
Auteur
Souhail Tazi
Éditrice
Maéva Carreira
Editor-in-chief
Tamy Emma Pepin
Souhail Tazi est le philosophe fermier derrière l’Organic Market Marrakech et le Domaine Sauvage - le terrain où il produit des légumes bios et sa propre huile d’olive. Inspiré par les principes de la permaculture, Souhail a réussi à transformer une terre stérile située à 45 minutes de Marrakech, sur la route vers Ouarzazate, en 12 hectares de terres agricoles productives. Aujourd’hui, il désire donner espoir à la nouvelle génération d’un avenir meilleur grâce à la permaculture.
Quand on parle de permaculture, ce qui me vient en premier à l’esprit, c’est ma part de responsabilité. Et ceci est valable pour chacun de nous dans les différents domaines, notamment dans celui de l’éducation et de la transmission du savoir.
Le mieux que l’on puisse faire, c’est de travailler à être un meilleur exemple de résilience afin de faire naître un désir de changement similaire chez l’autre.
Un point important : ne pensez pas que vous allez passer votre temps à paresser. Préparez-vous plutôt à un travail important, soutenu et à la fois très enrichissant. Le mot permaculture signifie ce que la nature a toujours fait, et ce bien avant l’humain : un travail éthique et solidaire, et non dogmatique et concurrentiel. C’est cette succession naturelle que l’on doit pratiquer. On doit jardiner avec la nature et non contre la nature. Faisons confiance au vivant, à ses mécanismes mis en pratique depuis des millénaires.
PourMasanobu Fukuoka, père de la permaculture, dans le monde du vivant, le savoir est en mouvement. Nulle vérité est immuable – on ne fait qu’apprendre ce que la nature sait beaucoup mieux que nous. Ce qui m’a touché en premier dans la philosophie de Fukuoka, c’est sa pratique du bio-mimétisme : observer, penser, expérimenter et pratiquer. Fukuoka est un pionnier, au Japon, de ce qu’on appelle, en agriculture, l’agroforesterie, soit la méthode selon laquelle des arbres sont plantés sur des terres agricoles afin que ces forêts deviennent le jardin alimentaire de nos sociétés modernes.
Une forêt comestible croît sans besoin d’apport extérieur, d’engrais, de composte ou de BRF (feuillages, rameaux de bois et champignons). Tout est cycliquement disponible. Cette pratique d’agriculture est la plus économe en énergie, pétrole et autre énergie fossile. En conventionnel, il faut 15 calories d’énergie pour produire une calorie. En jardin forêt, c’est l’équation inverse : pour 1 calorie, on en récolte 15! Puisque la nature tend à devenir une forêt, toute vie finit par s’y installer.
Par exemple, en Indonésie, où la population se compte par centaines de millions, la pratique de l’agroforesterie depuis les temps anciens leur a permis une certaine abondance alimentaire. Ce savoir a su être amélioré au fil du temps. Les Indonésiens ont su maintenir un milieu équilibré et une production autonome en remplaçant parfois simplement un arbre qui ne convient pas, par un autre de la même taille ayant les mêmes besoins et la même productivité.
J’ai passé mon enfance et ma première jeunesse sur des fermes au Maroc. Mon grand-père paternel était un grand propriétaire terrien et ma famille a poursuivi la tradition avec la culture de vignes, agrumes et céréales. Lorsque j’ai déménagé à Paris, j’ai gardé cette passion pour l’agriculture. Je suis rentré très tôt en relation avec les petits producteurs agricoles qui pratiquaient la permaculture. Étonnamment, jusqu’à dans les années 80, il n’existait, à Paris, qu’une seule petite boutique proposant des fruits, légumes et céréales biologiques. Quelques années plus tard, des magasins sous forme de coopératives ont commencé à ouvrir. Il s’agissait d’une très belle initiative responsable et solidaire. Bien évidemment, j’étais l’un des premiers fidèles de ces nouveaux magasins. C’était une joie pour moi que de rencontrer tous ces gens de différents horizons – la caissière, le boucher, le fromager, le boulanger, etc. Ces lieux ont tout de suite attiré des personnes intéressantes et soucieuses d’accompagner ce magnifique projet.
Quelques années plus tard, avec mon épouse et nos enfants, nous avons décidé de quitter Paris pour nous installer un certain temps à Marrakech. Nous avons acquis un terrain dans les montagnes du Haut-Atlas sur lequel nous avons établi la société Domaine Sauvage et la ferme Domaine de l’Olivier Bio. Ce terrain était situé sur un site isolé et accidenté de terres volcaniques. Nous avons fait ce choix malgré les contraintes inhérentes parce qu’il s’agissait de notre seule garantie d’absence totale d’intrants chimiques. Ces terres avaient été laissées en friche et avaient servi de pâturage durant des siècles.
En 2010, nous avons donc commencé à planter des acacias, des cyprès, des eucalyptus, des poivriers, puis des caroubiers, des amandiers, des fruitiers et des oliviers, avec le souhait de produire une huile d’olive d’exception. Cette huile d’olive issue de nos terres – produite sans machine, sans labeur et avec peu d’eau – a rapidement su répondre à nos attentes. Depuis, chaque année, nous produisons une merveilleuse huile d’olive dont les bienfaits antioxydants sont confirmés.
Parallèlement, dans une même démarche de permaculture, nous avons créé, avec des amis, l’Organic Market Marrakech, soit une culture maraîchère qui propose une offre très diversifiée de légumes et fruits saisonniers aux consommateurs de la cité, et ce tous les mardis et samedis. Nous partons à la rencontre de la population, afin de promouvoir l’agriculture durable soucieuse de la santé et de l’environnement. Il s’agit aussi d’un lieu d’échange, de rencontre et de débat d’idées — un volet que nous souhaitons développer davantage un samedi par mois afin d’y aborder des thèmes en lien avec des questions environnementales, sociales, et culturelles.
Le mouvement de la permaculture reste encore marginal en comparaison à la réalité massive de nos sociétés — notre manière de vivre, de consommer et de partager. Ainsi, malgré les grandes déclarations, la révolution verte et la transition verte représentent un leurre. On est bien loin de modérer l’agression faite à l’environnement.
À l’heure actuelle, personne n’est prêt à part une petite minorité de gens mobilisés à travers le monde. La raison est simple : nous avons de la difficulté à revoir notre manière de vivre. Tout le monde tient à son confort, tout le monde réclame un plus gros salaire afin de plus consommer. Une étude de l’OCDE avait estimé que la consommation de matières premières allait doubler d’ici 2060. Il est fort intéressant de constater que lorsque l’on parle de transition écologique ou transition énergétique, ce qui conviendrait le mieux serait plutôt une transition technique.
Nous passons de l’énergie fossile à une énergie dite verte – solaire, éolienne, électrique – mais cette énergie est aussi vorace en demande de matières premières. Elle demande l’extraction des terres et des métaux rares – cobalt, lithium, vanadium. D’ailleurs, dans les dernières décennies, l’Occident n’a trouvé rien de mieux à faire que de délocaliser cette pollution dans des pays en voie de développement comme le Gabon et le Mali, et plus récemment, la Chine. Bien sûr, en fermant les mines en Europe, l’industrie a été délocalisée d’en d’autres pays, créant au passage une pénurie d’emplois et du chômage.
En déplaçant le problème ailleurs, l’Occident s’est donné bonne conscience en adoptant la voiture électrique et les panneaux solaires sur les toits. Hélas, la pollution est toujours une réalité. La fabrication d’un téléphone cellulaire d’une centaine de grammes nécessite entre 100 et 200 kg de matières premières. Cela vous donne une idée des énormes quantités extraites. Puis, il y a le lithium des batteries des voitures électriques. Puisque s’il s’agit d’un minerai présent en quantité infime dans la couche terrestre, pour en extraire quelques kilos, il faut des tonnes de terre.
Toutefois, l’Occident semble prendre conscience de la nécessité de relocaliser son industrie et de repenser la possibilité de l’extraction de ces nouveaux minerais disponibles en Europe. Les conditions des travailleurs ainsi que la pollution générée seraient certainement mieux gérées en raison du cadre légal et des contrôles.
Heureusement, il y a l’intelligence de l’être humain et sa capacité créative. La science fait des pas de géant dans tous les domaines. Rien n’est définitif. L’Homme a connu différentes époques compliquées et même plus difficiles, mais il s’en est toujours sorti.
Commençons par renforcer la taxe carbone, prônons la sobriété en terme de consommation, recyclons tout ce qui peut l’être, soyons moins égoïstes, cessons cette hypocrisie pour nous donner bonne conscience. Notre économie est basée à plus de 80% sur l’énergie fossile : cela doit changer. On sait produire du gaz avec des algues – une énergie circulaire et 100% verte. Une première expérience a été menée en Équateur et un projet bien avancé à l’initiative de la fondation Zeri a été lancé en Argentine. L’hydrogène est aussi très prometteur pour le secteur des transports (voitures, trains, bateaux) puisqu’il représente une très faible pollution.
Ayons le courage de revoir notre manière d’être qui est présentement en rupture avec l’environnement. Faisons appel à notre imaginaire – rêvons! Et dans l’action, inventons un autre monde. Il y a urgence à réapprendre à penser par soi-même et à renforcer les capacités de notre esprit. On dispose d’un fabuleux héritage de plusieurs générations de merveilleux penseurs. Alors moins de diplômes et plus de concrétisation d’idées, de projets, d’innovations. Parce que des diplômés empilés pour finir salariés, ce n’est pas très excitant, et on passe certainement à côté d’un monde de possibles, dont l’époque a terriblement besoin. Soyons confiants : la nouvelle génération est là pour surprendre, entreprendre, créer et innover.
Alors moins d’inquiétude, de pessimisme et plus de confiance, d’enthousiasme et de ténacité. Ne rien lâcher et prendre tout le temps qu’il faudra pour l’avènement d’un monde meilleur.
Si je decide d’adopter la philosophie de la permaculture dans ma vie, je vais fonctionner par priorité en ayant à l’esprit le bienfait pour moi, pour l’autre et pour mon environnement.
En exemple
•
Acheter un terrain accessible ;
•
Conceptualiser des habitats avec des matériaux biodégradables disponibles sur place – terre, paille, pierre, bois, etc. ;
•
Développer une autonomie d’eau – récupération des eaux de pluie, puits, etc. ;
•
Développer une indépendance énergétique – solaire, éolienne, hydraulique ;
•
Développer un système de phytoépuration en mettant à contribution les plantes ;
•
Construire une poêle de masse pour se réchauffer. Le poêle de masse est moins polluant et plus économe, car la consommation de bois n’est que le tiers ou le quart de celle d’un poêle normal ;
•
Cultiver un jardin forêt et un potager. Le choix des semis et des plantations sera déterminé, en premier lieu, par les pratiques anciennes du proche voisinage. L’installation d’une serre afin de stocker la chaleur des cultures de légumes et de fruits pendant l’hiver sera aussi nécessaire ;
•
Monter une basse-cour pour la production de fumier, d’œufs et de viande. Le compostage et la préparation de vermicompostage seront important surtout les premières années ;
•
Établir un lien continu avec la communauté, le voisinage, les associations, les collectifs et les partis politiques ;
•
Établir un agenda pour des évènements hebdomadaires, mensuels ou autre, afin de renforcer le lien social dans la proximité ; favoriser les échanges et l’interaction ; proposer des produits et services ; promouvoir la qualité et non la quantité.
SOUHAIL TAZI
@ORAGANICMARKETMARRAKECH
@DOMAINESAUVAGE